Mobilités, immobilités
5-5 juil. 2021 Lille (France)

Appel à communications

  

    Comme l’illustrent le Brexit, le mouvement des Gilets Jaunes ou encore la pandémie de la Covid-19, les mobilités spatiales et leur pendant, les immobilités, concentrent une multitude d’enjeux sociaux, politiques et économiques et se retrouvent fréquemment au cœur de l’actualité. Visant à questionner la dimension spatiale des rapports sociaux, cet atelier doctoral interrogera les im/mobilités dans l’espace physique, qu’elles soient subies ou choisies, en lien étroit avec les réflexions menées par les sciences sociales sur d’autres types de déplacements, déclinées au sujet de la mobilité sociale, de la mobilité professionnelle, de la mobilité des capitaux ou de la main d’œuvre, ou encore plus récemment de la mobilité durable.

    Le recours au terme de « mobilités » pour décrire les mouvements spatiaux s’est peu à peu imposé dans le discours public comme dans le discours savant, alternativement voire en opposition à d’autres notions. Ainsi, alors que les travaux de l’École de Chicago, pionniers dans l’étude de ces dynamiques à l’échelle de la ville, associaient à la « mobilité » un changement résidentiel durable à la différence des « déplacements » recouvrant les trajets quotidiens (Burgess, 1925), les sociologues John Urry et Mimi Sheller revendiquent un usage générique du terme, appelant les sciences sociales à opérer un changement de paradigme (le “mobility turn”) afin de saisir la réalité d’un monde globalisé, caractérisé par la multiplication et la diversification des mouvements de personnes, d’idées, de marchandises et de capitaux depuis les années 1990 (Sheller et Urry, 2006). D’autres recherches consacrées notamment à l’aménagement urbain et territorial plaident pour leur part pour un renversement de perspective du « transport » à la « mobilité » afin de mettre l’accent sur les personnes et leurs nécessités de déplacement plutôt que sur les infrastructures et les flux (Flonneau et Guigueno, 2019). Néanmoins, cet intérêt croissant pour les mobilités spatiales, outre le fait qu’il surévalue fréquemment leur « nouveauté » (Wagner, 2007), peut conduire également à passer sous silence les obstacles qui les limitent (Green, 2019) et les phénomènes inverses d’ « immobilités », seulement visibles en creux de nombre d’analyses. A rebours de cette tendance, de nombreux travaux ont mis en évidence l’importance de l’ancrage local pour différents groupes sociaux (Authier et al., 2007) qu’il s’agisse de classes populaires (Renahy, 2005 et 2010; Coquard, 2019; Merklen 2009; Fol 2010) ou de classes supérieures (Zalio, 1999; Beckert, 2001; Pinçon-Charlot et Pinçon, 2007). Par ailleurs, l’attention ancienne portée par les sciences sociales aux lieux d’enfermement, paradigmatiques a priori de l’immobilisme, comme les asiles ou les prisons (Goffman, 1961; Foucault, 1975), est aujourd’hui renouvelée par des études s’intéressant par exemple aux processus d’encampement des populations migrantes (Agier et Lecadet, 2014).

    Dans la lignée du renouvellement d’une réflexion interdisciplinaire sur ces questions (Tissot et Ripoll, 2010), cette journée a pour but de rassembler des recherches en cours portant sur les mobilités et sur les immobilités spatiales, afin d’interroger les relations entre ces deux faits sociaux dans une perspective dynamique et comparatiste. Le couple mobilité/immobilité peut dans cette optique être considéré comme un antagonisme mais également comme un continuum, être analysé au regard de sa résilience ou au contraire de sa fluidité, au fil de différentes séquences historiques ou biographiques. En suivant cet objectif, les communications pourront porter sur différents types d’im/mobilités spatiales (de travail, résidentielles, familiales…), sur leurs acteurs mais aussi sur leurs supports (physiques ou virtuels) et les temps et les lieux dans lesquels elles se déploient, à différentes échelles (du quotidien à l’évènement, du bâtiment à la planète). Elles sont invitées à prendre en compte l’intersection de rapports de domination de classe, de genre et de race, d’orientation sexuelle et d’origine géographique, qui se jouent dans ces processus. Sont attendues des présentations de cas d’étude aussi bien que des réflexions d’ordres théorique, méthodologique et/ou épistémologique. Les propositions pourront s’inscrire dans un ou plusieurs des axes présentés ci-dessous, cette liste n’étant cependant pas exhaustive.

 

Axe 1 : Pratiques d’im/mobilités et effets socio-spatiaux

    A quelle distance et à quelle fréquence se déplace-t-on? Pour quel(s) motif(s) ? A quelle vitesse? Par le biais de quelle infrastructure technique, matérielle ou immatérielle ? Suivant quel parcours ? Avec qui ? Ce premier axe vise en premier lieu à apporter à ces questions des réponses empiriques sur des terrains variés, considérant qu’il s’agit d’autant d’indicateurs de positions et/ou de déplacements dans l’espace social. Ainsi, l’aptitude à se mouvoir peut être considérée comme une capacité différentielle selon les groupes sociaux, porteuse d’ascensions et d’émancipations sociales ou au contraire de déclassements et d’enfermements vécus ou perçus par les agents (Kaufmann, 2002; Chamboredon et Lemaire, 1970). Les propositions mettant l’accent sur des rapports de domination au regard desquels ces dynamiques restent peu explorées, tels que les rapports de genre (Tillous, 2017; Schmoll, 2020; Bourdieu, 2002), de race (Nicholson, 2016) ou d’orientation sexuelle (Giraud, 2014) sont particulièrement encouragées. Les communications sont également invitées à mettre en question l’antagonisme mobilité/immobilité en s’intéressant par exemple aux micro-mobilités au sein d’espaces considérés comme clos (Muchnik, 2019; Solini et al., 2019; Doraï et Puig, 2008) ou aux ancrages qui sont maintenus malgré les déplacements, voire renforcées par ces derniers ( Fol et al., 2002, Latté et Hupfel, 2018).

Par ailleurs, si la mobilité (ou l’immobilité) donne « le pouls de l’agglomération » (Burgess, 1925) comment se déclinent ses effets sur le développement et l’évolution des territoires, qu’ils soient urbains, périurbains ou ruraux, de départ et d’arrivée ? Les propositions pourront porter ici un regard renouvelé sur les phénomènes d’urbanisation voire d’ « explosion urbaine » découlant de l’exode rural à l’échelle mondiale (Davis, 2007), ou de périphérisation liée aux migrations intra-urbaines (Dureau et Golaz, 2006). « La construction d’espaces de mobilités et de flux pour certains condui[san]t toujours à la construction de barrières pour les autres », elles pourront questionner la fragmentation du territoire induite par les déplacements (Graham et Marvin, 2001). Elles pourront enfin interroger l’impact des im/mobilités, ou les « effets structurants » des infrastructures de transports (Offner et al., 2014), sur l’évolution des prix du foncier et de l’immobilier (Collet, 2014), la création, le maintien ou l’ “adaptation” des activités économiques et des services publics (Ninot, 2014; Siblot, 2005), l’organisation politico-administrative et les mécanismes de gouvernance territoriale  (Ghorra-Gobin, 2006; Halpern et Le Galès, 2016), la définition d’espaces plus ou moins “attractifs” (Vignal et al., 2014).

Enfin, quels outils théoriques et méthodologiques sont à même de saisir ces dynamiques protéiformes ? La focalisation sur les processus de (non) déplacements dans l’espace  a conduit à l’apparition ou au renouvellement de concepts, comme la “motilité” (Kaufmann, 2002), de courants, tels que l’histoire globale (Maurel, 2013), et de champs de recherche, des migrations aux études rurales (Baby-Collin, 2017; Coquard, 2019). Elle a donné lieu dans le même temps au développement et à l’adaptation de méthodes cartographiques (cartographie participative ou sensible [Palsky, 2013; Olmedo, 2015] ) ou ethnographiques (ethnographie « multi-située » ou « globale » [Marcus, 1995; Burawoy et al., 2000] ), ainsi qu’au réinvestissement de sources biographiques ou statistiques. Des présentations critiques des travaux existants ou basées sur des recherches en cours, quel que soit leur niveau d’élaboration, sont en ce sens bienvenues.

 

Axe 2 : Im/mobilités, socialisations et légitimités

    Par ce deuxième axe, il s’agit ensuite d’interroger les dimensions cognitives de ces im/mobilités, au regard des différents référentiels sociaux, spatiaux et temporels, endogènes et exogènes, au travers desquels les déplacements ou les ancrages sont perçus et vécus.

Les propositions sont invitées en premier lieu à s’intéresser aux « socialisations aux et par les [im/]mobilités spatiales », encore trop peu étudiées (Cacciari et al., 2019) malgré l’attention renouvelée aux socialisations par et à l’espace (Cayouette-Remblière et al., 2019) . Elles pourront d’une part porter sur l’intériorisation d’un ensemble de manières de penser et d’agir sur le fait de bouger ou non et sur la façon dont on bouge au fil de la trajectoire biographique, soit au cours des socialisations familiale, amicale et conjugale, scolaire et professionnelle, militante et politique (Léger et Hervieu, 1979; Fail et al., 2004; Kaufmann et Widmer, 2005), en prêtant attention aux socialisations spécifiques liées à la classe, au genre, à la race, à l’orientation sexuelle, à la génération ou au territoire d’appartenance (Wagner, 2007; Oppenchaim, 2016; Giraud, 2014; Sayagh, 2018; Debroux, 2018, Rivière, 2019). Elles pourront d’autre part mettre l’accent sur la façon dont les espaces occupés ou traversés, et les expériences, apprentissages et sociabilités qui y sont associés, contribuent à leur tour à forger les identités sociales et politiques des individus (Oppenchaim, 2016; Le Renard, 2018; Sayagh, 2018; Merklen, 2009).

En second lieu, cet axe vise à questionner les légitimités associées à ces im/mobilités spatiales, à différentes échelles et dans une variété de configurations sociales, économiques et politiques. Ainsi, les migrations internationales de classes supérieures ont longtemps soulevé peu d’interrogations, à la différence de celles des classes populaires, et sont même encouragées par certain·es au nom de l’ « immigration choisie ». De même, le recours à l’enfermement suscite plus ou moins de débats selon les groupes concernés, qu’il s’agisse des détenu·es, des migrant·es ou des malades. Les individus sont soumis en la matière à des injonctions qui renforcent les inégalités sociales, telles que les injonctions à la mobilité résidentielle ciblant les classes populaires (Vignal et al. 2014) ou les injonctions au travail à distance et/ou à la mobilité géographique pour l’emploi qui aggravent les inégalités entre les sexes (Marry et al., 2017). Réciproquement, les im/mobilités sont pourvoyeuses de légitimités, donnant lieu à la constitution de formes spatialisées de capital (« capital d’autochtonie » (Retière, 2003) / « capital international » (Wagner et Réau, 2015) ) différemment valorisables selon les contextes. A cet égard, les communications sont invitées à prêter attention à la balance des valeurs des ressources liées aux im/mobilités, changeantes dans le temps et l’espace et en fonction des autres ressources des agents (Colombi, 2016), ainsi qu’au possible cumul des légitimités attachées au local et à l’international, à la mobilité et à l’autochtonie (Dezalay et Garth, 2002; Wagner, 2010)

Cet axe pourra enfin être l’occasion d’un retour réflexif sur nos propres pratiques d’enseignant·es-chercheur·ses, faites de mobilités plus ou moins proches ou lointaines sur nos terrains et de mobilités géographiques pour des postes. Des communications portant sur la proximité ou la distance spatiale dans la conduite de la recherche, sur la socialisation à et par la mobilité au sein de l’ESR, sur les incitations croissantes à la mobilité, nationale et internationale, et leurs effets sur la production scientifique (Green, 2014) et sur les trajectoires biographiques et les carrières académiques (Goastellec, 2016), ou a contrario sur les discriminations socio-spatiales dans l’accès à certains espaces scientifiques, pour les étudiant·es comme pour les  chercheur·ses, seront particulièrement appréciées.

 

Axe 3 : Im/mobilités en crise(s)

    A l’instar de la diffusion rapide de la pandémie de la Covid-19 et des mesures de confinement et de fermeture des frontières qui s’en sont suivies, les im/mobilités engendrent des situations qualifiées de crises à différentes échelles (« crise migratoire », « crise des transports » ou « crise des prisons ») tandis que des crises de différentes natures (sanitaires mais aussi écologiques, sociales, économiques et politiques) affectent directement les situations et les pratiques d’im/mobilités. Au vu de cette relation à double sens, ce dernier axe entend rendre compte des implications socio-spatiales de ces crises de divers ordres, relatives et différemment vécues en fonction des ressources des agents et des contextes géographiques et historiques.

Les communications pourront d’une part s’intéresser à la construction des im/mobilités comme problèmes publics et à ses conséquences, qu’il s’agisse de la restriction de l’immigration (Darley, 2010), des appels à désengorger et à transformer les prisons (Chabbal, 2019; Fassin, 2020), ou encore du développement de plans d’aménagement favorisant la multi-fonctionnalité des espaces afin de réduire les trajets (Dempsey, 2010). Elles pourront d’autre part analyser les ruptures que des crises exogènes introduisent quant aux phénomènes d’im/mobilités autant que les permanences qui les traversent, qu’elles accentuent ou qu’elles mettent en évidence. Ainsi, la crise sanitaire actuelle apparaît aggraver des inégalités de classe, de genre et de race face au contrôle des déplacements et aux conditions de logement et de travail à distance en confinement (Lambert et al., 2020), en même temps qu’elle est susceptible d’entraver les conditions de la reproduction sociale des élites internationalisées (RT9 et RT42, 2020). Elle réoriente les flux du tourisme vers le local et le national, ouvrant la voie à un réaménagement des infrastructures et des territoires d’accueil (Marcotte et al., 2020), tandis qu’elle contribue au développement controversé de multi-nationales dédiées à la vente en ligne, support d’une intensification de la circulation de marchandises à longue distance. Elle donne lieu à une augmentation des trajets à vélo mais plus encore en voiture, au détriment du transport collectif. En ce sens, elle renforce autant qu’elle limite les effets de la crise écologique, dont la prise en compte s’accompagne du développement de circuits-courts de consommation (Paranthoën, 2015), d’une revalorisation de l’ancrage local vis-à-vis d’une internationalisation synonyme de pollution, de la mise en place de modes de transport collectifs et peu contaminants (Giorgi, 2003). Les crises économiques peuvent limiter les déplacements en raison de leur coût financier mais également susciter leur augmentation pour accéder à un bassin d’emploi plus favorable, à des réseaux d’entraide ou à des marchandises à bas coût (Diaz Olvera et al., 2007; Fol, 2009). Elles donnent lieu à l’abandon de grands projets d’aménagement des transports ou au contraire à des formes de relance keynésienne par l’investissement dans l’infrastructure (Baron, 2019). Elles transforment des territoires d’arrivée en territoires de départ (Lacrampe-Camus, 2019). Ces effets interagissent enfin avec ceux des crises politiques, entre emprisonnements politiques, contrôle de la circulation des biens et des personnes et déplacements forcés (Kévonian, 2013), entre réformes et contestations, de l’imposition de la taxe carbone au mouvement des Gilets Jaunes (Coquard, 2018). Les communications sont invitées à appréhender la complexité de ces relations entre im/mobilités et crises en tenant compte de leurs effets combinatoires, et fluctuants selon les configurations étudiées.

Cet axe vise dans le même temps à ouvrir un espace de réflexion sur les liens entre crises et im/mobilités dans l’analyse et dans le travail scientifique. Il pourra s’agir à cet égard de penser les croisements entre les outils d’analyse des im/mobilités spatiales et les outils d’analyse des situations de crise (Dobry, 2009). Mais également d’interroger l’impact des im/mobilités en temps de crise sur les conditions de l’activité scientifique. Les propositions pourront à cet égard porter sur les manières de mener l’enquête face aux difficultés d’accès au terrain, dans une période de pandémie (Clouet et al., 2020) ou dans des zones réputées dangereuses (Calzolaio et al., 2016), sur les possibilités et les biais que représentent la production et la diffusion de la recherche en “distanciel”. Elles sont enfin encouragées à interroger les conditions du travail scientifique dans de tels contextes, et les sens qui lui sont attribués, au regard des rapports de genre, de classe, de race et des différences statutaires et fonctionnelles qui traversent le monde de la recherche et structurent les im/mobilités des chercheur·ses.

 

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